Témoignages
Markantoine, Québec
À l’hôpital, quand j’ai vu ces blessures-là, j’étais vraiment fâché de pourquoi je me retrouvais avec deux commotions cérébrales et de multiples fractures au visage. J’étais fâché que ça existe encore ce genre d’homophobie. Et puis j’ai réalisé que j’avais une chance de parler pour tous ceux qui avaient vécu la même chose que moi mais qu’on entendait pas, et aussi de faire réfléchir les gens qui, comme moi avant, pensaient que ce genre d’homophobie n’existait plus. Ma façon d’être militant, c’est pas d’arriver dans la rue avec une pancarte, c’est de créer des espaces inclusifs et de parler de la diversité autour de moi.
Mélania, Londres
Mon agression dans le bus n’était pas la première fois que je faisais face à de l’homophobie, mais avant je ne disais rien, ou quand j’en parlais à mes ami.e.s, illes disaient que j’exagérais ou ne me croyaient pas. Mais cette fois je ne pouvais pas rester dans le silence, et je me suis dit « Qu’est-ce que je peux faire ? », donc j’ai décidé de mettre notre photo sur les réseaux sociaux et de contacter la presse. Pour moi, être activiste c’est être actif dans quelque chose. Il suffit d’écouter, de regarder ce qu’on a ou ce qu’on peut faire, et de faire de son mieux avec ce qu’on a. Tu peux être un.e activiste ayant des conversations avec tes ami.e.s. Tu peux toujours faire quelque chose, c’est ça la beauté de la vie.
Wilfred, Paris
C’était à Paris, il faisait très chaud pour le mois d’avril et c’était une très belle soirée alors on a décidé de rentrer à pied. Quatre gars nous sont tombé dessus. J’ai tout de suite pris un énorme coup sur la tête qui m’a fait perdre conscience, le reste m’a été raconté après par mon copain. Je suis tombé à terre, mais ils ont continué à me donner des coups de pieds. Quand j’ai repris connaissance, je me souviens que j’ai mal, j’ai froid, je suis couvert de sang et je ne comprends rien à ce qui se passe. Je passe la nuit à l’hôpital et le lendemain matin, je rentre chez moi, plein de fractures, et c’est là que je me vois pour la première fois. C’était horrible à voir et j’ai pleuré. J’ai décidé de prendre une photo et de la mettre sur Facebook en disant ce qu’il c’était passé, parce que quand quelqu’un fait un crime haineux comme ça, qu’ils essayent de détruire ton visage, ton identité, je pense que c’est presque une sorte de revanche de montrer ta face et de prendre la parole. C’est eux qui devraient avoir honte, pas nous.
Pich, Cambodge
Quand j’avais 20 ans, j’ai parlé de ma copine sur Facebook et mon père en a eu vent. Ça n’allait pas très bien dans mes études à ce moment-là, et il a tout mis sur le dos de mon attirance pour les filles, puis il a commencé à me frapper. Ensuite il m’a interdit de sortir, il a pris mon téléphone et ma moto. Après ça mes parents m’accompagnaient à l’université et au travail et venaient me chercher. Je n’avais le droit de voir personne. Heureusement grâce à mon ordinateur j’ai réussi à contacter mes ami.e.s. Si vous voyez des personnes qui sont victimes de violence ne les ignorez pas parce qu’elles pourraient en mourir. Je suis vraiment reconnaissante de toutes les personnes qui m’ont aidé parce que sans elle, je ne serais plus là. Maintenant je vais mieux et je suis en santé. Parfois, même des petits gestes comme demander à une personne comment elle va peut aider beaucoup.
Leur histoires
Markantoine
Je n’ai pas été élevé dans un milieu homophobe. J’ai été chanceux de me retrouver dans un milieu très ouvert. Donc pour moi, les crimes homophobes, les gens qui se faisait battre ou insulter dans la rue, je savais que ça existait ailleurs, mais pour moi Montréal c’était comme un repère de tranquillité pour les personnes LGBTQ+. C’était un peu comme ça que je le voyais, et j’étais fier d’être montréalais aussi pour cette raison-là.
Mais pendant la Fierté en 2019 est arrivé un incident à Charlevoix.
On était dans un bar à la Malbaie pour fêter ma collaboration avec Simons. On a rejoint des ami dont un qui était gai et assez flamboyant. On prenait un verre et on parlait des fois avec lui et ses amis. À un moment donné, il y a eu une intercation avec un gars qui disait des choses assez homophobes. On s’est levés pour partir, mais en sortant le gars m’a dit « toi avec, t’es un osti de fif ». J’avais mis, sans y prêter trop attention un chandail avec des rayons arc-en-ciel. Je pense d’ailleurs que c’est ça que le gars a remarqué. Moi j’ai répondu : « c’est quoi ton osti de problème avec les fifs ? » Et tout de suite, j’ai reçu un coup de tête. J’étais sonné, mais j’ai une tendance naturelle à me défendre, on a commencé à se battre. On était sur la terrasse du bar donc a rapidement été séparés. Le t-shirt à moitié déchiré et encore en train de reprendre mes esprits, je suis parti dans la direction opposé du gars, avec mon copain. C’est là que trois hommes sont arrivés sur nous. Un des trois retenait mon copain, et les deux autres ont sautés sur moi. Comme j’étais encore sonné, je me suis rapidement mis à terre et j’ai essayé de protéger mon visage des coups de pieds le plus possible. Vers la fin, ils donnaient tellement de coups de pieds que un d’entre eux a dit « Arrête arrête tu vas l’tuer !». Éventuellement y a des filles qui sont arrivées et qui nous ont aidé, et après une ambulance est arrivée avec la police. J’avais deux commotions cérébrales et plusieurs fractures au visage et mon chum avait fait une commotion cérébrale lui aussi.
À l’hôpital, quand j’ai vu ces blessures-là, je me suis dit que c’était pas la fin du monde. Par contre j’étais vraiment fâché de pourquoi j’avais reçu ces coups. J’étais fâché que ça existe encore ce genre d’homophobie, qu’il y ait encore des gens qui traitent des gens de fifs… Franchement, c’est pas des mots qu’on devrait dire.
Ma mère a toujours été une bonne alliée et je pense que ça lui a un peu brisé le cœur de me voir dans cet état là. Alors elle a lancé un message sur Facebook. Je pense qu’elle voulait exposer la situation et montrer ce que ça fait l’homophobie, comme pour dire : « regardez si vous éduquez mal vos enfants ce que ça va faire, ils vont commencer à battre des gens pour aucune raison ». Moi-même j’ai partagé la photo avec un message que j’avais écrit. Rapidement ça a pris de l’ampleur, ça a été partagé 15 000 fois sur Facebook et ça a fait le tour de beaucoup de médias aussi.
J’ai reçu énormément de témoignages via les réseaux sociaux de plein d’autres gens qui disaient avoir été dans des cas similaires, des histoires avec leur chauffeur de taxi parce qu’ils étaient trans ou parce qu’elles étaient lesbiennes. Plein de monde me partageait leurs histoires. Je pense que c’est parce que j’étais l’une des rares personnes a avoir parlé de mon agression et c’est plus facile de parler avec quelqu’un qui a vécu la même chose. Mais ces gens qui m’écrivaient sur les réseaux me disaient que leurs histoires à eux étaient pas passée dans les médias, qu’ils avaient pas eu du monde pour les aider et les soutenir comme moi j’ai eu, et que leurs agresseurs n’avaient jamais été attrapés. À ce moment-là, j’ai vu naître en moi une espèce de fonction combattant; je me suis dit : moi j’ai la force de le faire, j’ai une plateforme pour le faire, y a du monde qui m’écoute, alors je vais le faire. J’ai réalisé que j’avais une chance de parler pour tous ceux qu’on écoutait pas, mais aussi de faire réfléchir les gens qui, comme moi avant, pensent que ce genre d’homophobie n’existe plus. C’était vraiment important pour moi de dénoncer ce qui c’était passé, et de montrer aux autres personnes LGBTQ+ qui se sont déjà fait agressées qu’elles ne sont pas toute seules et qu’on peut se battre ensemble. Après l’agression je me suis impliqué avec GRIS Montréal et à la fête arc-en-ciel aussi à Québec par exemple.
Je pense aussi que je suis devenu plus démonstratif de mon identité avec le temps. Ma façon d’être militant, c’est pas d’arriver dans la rue avec une pancarte, mais c’est réunir les gens par la passion, par l’amour dans des espaces inclusifs et de parler de cette diversité autour de moi. C’est sûr que c’est pas le type de sujet qui va venir aux oreilles de ma grand-mère dans sa vie de tous les jours, alors c’est important d’en parler. Ne serait-ce que de parler de ses proches qui sont LGBTQ+ et qu’on aime, ou de parler de ces sujets là avec ses amis c’est important. C’est un sujet qui a été tellement marginalisé pendant longtemps, que beaucoup de gens voient encore les communautés LGBTQ+ comme différentes d’eux, mais je pense qu’aujourd’hui on doit juste intégrer ça à notre vocabulaire, pour banaliser le sujet et faire réaliser qu’on est juste des personnes comme tout le monde.
Je ne suis pas encore guéri à 100%. Encore aujourd’hui je vis encore des répercussions physiques et mentales de tout ça, mais c’est pas la fin du monde, je continue à vivre et j’essaye de passer à autre chose. Heureusement, j’ai mon atelier, ma passion, ma vie, et mes étudiants qui m’ont permis de me relever et avec qui je continue ma vie.
Melania
D’un point de vue juridique, l’Uruguay est l’un des meilleurs pays pour les personnes LGBT de nos jours. Toutefois, c’est aussi un pays dont la culture est très misogyne, comme la plupart des pays d’Amérique latine.
Un jour, à Londres, je prenais le bus avec une personne que je fréquentais et quelques gars se sont approchés de nous et ont commencé à nous harceler. J’ai essayé de leur parler, mais ça ne fonctionnait pas. Comme mon amie a gardé le silence, ils ont commencé à nous jeter des pièces de monnaie pour la faire réagir. Elle est allée à l’arrière du bus. C’est là qu’ils ont commencé à la battre, alors je suis allée l’aider. Finalement, ils ont volé ce que nous avions sur nous et sont partis. J’étais complètement sous le choc et je ne savais pas quoi faire, surtout étant donné que je n’étais pas dans mon pays d’origine. J’ai donc pris des photos pour avoir une preuve de ce qui s’était passé. Quelqu’un a appelé la police et une ambulance, puis nous avons été emmenées à l’hôpital.
Au début, je me suis sentie perdue, je ne comprenais pas ce qui s’était passé. Ensuite, je me suis sentie en colère, parce que ce n’était pas la première fois que je faisais face à de l’homophobie et j’en avais assez. Avant, je ne disais rien, ou quand j’en parlais à mes ami.e.s, illes disaient que j’exagérais ou ne me croyaient pas. Mais, cette fois, je ne pouvais pas rester dans le silence. J’ai donc décidé, après en avoir parlé à mon amie, de publier notre photo sur les médias sociaux. L’image est devenue virale et a été couverte par les médias.
Quand j’ai publié la photo, mon intention n’était pas militante, mais c’est l’effet qu’elle a eu. Je suppose qu’on peut dire que c’est une forme d’activisme, parce qu’à ce moment-là, je me suis demandé : « Qu’est-ce que je peux faire? » Je me considère comme une activiste, mais, pour moi, ce n’est pas une manière d’être, contrairement à la plupart des gens. Pour moi, être activiste, c’est être actif dans quelque chose. J’ai toujours voulu aider les gens, donc je suis devenue médecin, mais tu n’as pas besoin d’être médecin pour aider les gens. Il suffit de regarder ce qu’on a ou ce qu’on peut faire, et de faire de son mieux avec ce qu’on a actuellement. Tu peux être un.e activiste en ayant des conversations avec tes ami.e.s. Tu peux toujours faire quelque chose. C’est ça, la beauté de la vie. Qu’est-ce que tu peux faire, exactement? Il s’agit d’une question que tout le monde devrait se poser. Certaines actions génériques sont à la portée de tout le monde, selon ton cheminement personnel, le niveau d’engagement que tu veux accorder à la cause et les ressources à ta disposition. Je suis en train de fonder un OBNL avec des ami.e.s. J’ai maintenant un bon travail, un salaire qui me permet de régler mes factures et un peu de temps pour réfléchir. Ce sont des ressources que beaucoup de gens n’ont pas. Je ne demanderai pas à une personne qui n’a pas d’emploi et qui a du mal à boucler les fins de mois de travailler sept heures par jour pour une cause. Ce ne serait pas juste.
La première chose que tout le monde peut faire est d’être à l’écoute. Lorsque quelqu’un te raconte une histoire de discrimination, si tu l’écoutes attentivement et que tu essayes vraiment d’être présent.e, il est toujours possible de faire quelque chose. Tu peux simplement montrer à cette personne que tu te soucies d’elle, ou la mettre en contact avec des ressources ou d’autres personnes qui pourraient l’aider.
Aussi, parfois, il arrive que l’on ne réagisse pas comme on l’aurait souhaité. Je me souviens d’une occasion, dans un nouvel emploi, où une personne a fait un commentaire qui m’a rendue inconfortable. Je voulais dire quelque chose, mais je ne l’ai pas fait parce que j’étais confuse et j’avais peur que les gens me voient comme une extrémiste, donc je n’ai rien dit et je le regrette. Cependant, on peut en tirer des leçons. On peut se demander : « Pourquoi est-ce arrivé? Pourquoi ai-je gardé le silence? Qu’est-ce que je pourrais améliorer la prochaine fois? »
En général, lorsqu’on se plaint d’homophobie ou de harcèlement, on se fait dire « tu es trop sensible », mais je crois vraiment que la sensibilité est une force. On ne devrait pas l’utiliser pour rabaisser les gens. Pourtant, de nombreuses personnes affirment que nous devons accepter que la violence existe et que c’est comme ça, que nous ne pouvons rien y faire. Je pense que la raison pour laquelle les gens sont réduits au silence, c’est qu’en fait, écouter les victimes signifierait reconnaître qu’il y a un problème et ce n’est pas tout le monde qui est prêt à l’admettre.
J’ai fait face à de l’homophobie deux fois depuis Londres. Par exemple, avant-hier, j’étais dans un bar avec ma copine et un homme a commencé à nous harceler verbalement, mais au moins il n’a pas été violent. Je ne tiens pas la main de ma copine autant qu’avant, mais j’essaye de le faire plus souvent. Je ne veux pas restreindre ma liberté à cause des comportements homophones.
Après la publication de ma photo et l’attention que m’ont accordée les médias, j’ai reçu des milliers de courriels et de messages dans les médias sociaux, mais je ne les ai pas lus. J’étais toujours un peu atterrée. Aussi, on m’a dit de me préparer à recevoir des messages difficiles, et on m’a effectivement écrit que j’avais besoin de me faire corriger par un vrai mâle, mais d’après ce que j’ai vu, 99 % des messages que j’ai reçus étaient très touchants.
Mon conseil pour les gens qui ont été agressés, ce serait d’être à l’écoute de son processus. Bien sûr, il serait bon que tout le monde se rende à la police, car ces dénonciations nous aideraient à obtenir des statistiques plus précises et pourraient pousser les gouvernements à prendre des mesures, ce qui pourrait contribuer à des changements. Toutefois, si tu souffres, le fait de se rendre au poste de police peut te faire plus de mal que de bien en vue de ta guérison. Si tu crois que ce n’est pas le meilleur recours pour toi, c’est correct. Cependant, si tu le peux, bien sûr, vas-y. Pense à toutes les personnes qui ne peuvent pas parler en ce moment.
Je pense que beaucoup de gens croient que les personnes LGBTQ+ ont maintenant tous les droits, mais je vis en Suisse et, ici, il est interdit aux homosexuel.le.s de se marier ou d’adopter des enfants. Le 17 mai est un bon rappel que nous ne sommes pas aussi confortables que certains pourraient le croire. Il est bon de reconnaître le chemin parcouru jusqu’à présent et les progrès accomplis, mais nous devons aussi augmenter la visibilité des enjeux actuels pour que les gens soient au courant de notre existence. Cette journée nous rappelle qu’il reste du travail à faire.
Wilfred
Je pense qu’on se rend souvent compte qu’on est gai très très jeune, mais on n’a pas encore les mots pour le dire. On a l’impression qu’on est différent mais sans savoir en quoi exactement. Ce sentiment de différence a été pour moi une source d’angoisse et de manque d’estime de soi. J’ai fini par faire mon coming-out à 18 ans, et ça s’est bien passé. Il faut dire que je suis vraiment privilégié : je viens de la classe moyenne, je suis blanc, je suis protestant, donc dans une église où je suis quand même bien accepté, je travaille dans l’histoire de l’art… Et je me disait que c’était super d’être gai, d’avoir une communauté partout dans le monde, une certaine culture… mais maintenant, je ne le pense plus trop.
En avril 2013, je suis allé à une fête chez des amis avec mon copain. C’était à Paris, il faisait très chaud pour le mois d’avril et c’était une très belle soirée. Vers 3h du matin on décide de rentrer à pied, ça faisait une trotte, mais il faisait beau et on avait bu un peu, on était bien. Mais après quelques centaines de mètres, on s’est fait agressé. Quatre gars ont commencé à nous suivre et à nous crier des choses, puis à nous frapper. J’ai tout de suite pris un énorme coup sur la tête qui m’a fait perdre conscience, le reste m’a été raconté après par mon copain. Je suis tombé à terre, mais ils ont continué à me donner des coups de pieds. Et puis ils sont partis. On était dans une petite rue un peu sombre et mon copain ne savait plus trop quoi faire. Il a appelé à l’aide, mais c’était 3h du matin, donc il n’y avait personne aux alentours. Moi pendant ce temps je cherche mes lunettes et une dent que j’avais perdu, j’étais en état de choc. Il m’a aidé à marcher vers le boulevard où il y avait plus de monde. Il avait appelé la police et on a été amené à l’hôpital par une ambulance. J’ai mal, j’ai froid, je suis couvert de sang et je ne comprends rien à ce qui se passe. Je passe la nuit à l’hôpital et le lendemain matin, je rentre chez moi, plein de fractures, et c’est là que je me vois pour la première fois. C’était horrible à voir et j’ai pleuré. Je devais voir des amis ce dimanche, mais je leur ai dit que je ne me sentais pas très bien et que je ne pouvais pas venir. Mais là je me suis rendu compte que je leur mentais parce que j’avais honte, mais que je ne devrais pas avoir honte. Alors j’ai décidé de prendre une photo et de la mettre sur Facebook en disant ce qu’il c’était passé.
Les quatre gars ont été arrêtés, 3 d’entre eux étaient mineurs. C’était juste des gars problématiques, bourrés qui traînaient dans la rue. C’est tombé sur nous parce qu’on était deux gars qui se tenaient la main, mais je ne sais pas ce qui se serait passé si ça avait été une femme seule à la place, ou un garçon avec une kippa. Je ne pense pas qu’ils étaient en train de chasser des gais, mais ils avaient clairement un problème avec les gais. Je pense que ce genre de problème ça commence tôt, avec l’éducation. Les enfants qui à 7 ou 8 ans traitent les gens de « pédé » parce qu’ils l’ont entendu, souvent à la maison, et qu’ils savent que « pédé » c’est grave ou que c’est cool d’utiliser ce mot-là. J’imagine que ces gars-là avaient baigné dans ce genre de culture-là. Après, heureusement la plupart des gens qui ont des tendances homophobes ne deviennent pas aussi agressifs. Mais eux oui.
C’est bizarre parce que n’est pas mon style de tenir la main à mon copain dans la rue. Je le faisais très rarement. Je suis quelqu’un de nature assez joyeuse, optimiste donc je n’avais pas vraiment de peurs d’être agressé, mais c’est vrai qu’à la gare, je ne faisais pas de bisous pour dire au revoir à mon copain, et que je ne lui tenais pas la main dans la rue. Je pensais que c’était parce que je trouvais ça trop « gnan-gnan », mais maintenant je réalise qu’il y a aussi une part d’homophobie interiorisée ou de peur. C’est comme pour la tenue : J’adore quand je vois dans le métro un garçon beaucoup plus courageux que moi qui porte une jupe ou des talons. Et moi pendant longtemps je me disais que je ne trouvais pas ça beau, mais en fait c’est que je n’ose pas. Je pense j’avais tellement bien intégré de faire gaffe en public que je me cachais inconsciemment. Mais ce jour-là on avait passé une belle soirée et on s’est tenu la main.
Notre histoire, et la photo, ont attiré beaucoup d’attention médiatique. Apparemment il était assez rare que les victimes de l’homophobie se montraient tout de suite, et étaient prêtes à en parler. Alors on était aux infos, dans tous les talks shows, les gens écrivaient des choses adorables, on recevait des fleurs à la maison.
Et puis l’attention médiatique est retombée et là j’ai remarqué que je ne m’installais plus sur les terrasses. Et si j’allais sur les terrasses c’était toujours dos contre le mur. J’avais peur de retourner dans ce quartier. Je me suis rendu compte que dès que je voyais un groupe de jeunes hommes j’étais envahi de peur. Je suis devenu beaucoup plus craintif. Ça a eu un impact
beaucoup plus grand que ce que j’aurais cru. Par exemple, je ne fais plus de camping, avant ça ne me dérangeait pas que les gens comprennent que je suis gai parce que je partage ma tente avec mon copain, ou qu’ils nous voient manger ensemble le matin. Mais maintenant ça me met mal à l’aise alors je ne le fais plus. J’ai aussi fini par changer de quartier. Je ne voulais pas au début parce que je trouvais ça lâche de déménager, mais ne voulais plus vivre dans la peur alors j’ai déménagé.
J’ai l’impression que depuis que j’ai posté ma photo en 2013, les gens osent plus montrer des photos de leurs agressions, et pense que c’est important de pouvoir montrer ces photos, de ne pas se laisser invisibiliser. Quand quelqu’un fait un crime haineux comme ça, qu’ils essayent de détruire ton visage, ton identité, je pense que c’est presque une sorte de revanche de montrer ta face et de prendre la parole. Et je crois que 95% des gens sont des gens biens, ils vont comprendre que tu es la victime dans l’histoire et ils veulent t’aider, mais ils ne peuvent pas le faire si tu n’en parles pas.
Mais je comprends que les gens ne veulent pas parler de leurs agressions parce qu’ils ne veulent pas que ça se sache, ou parce qu’ils ne veulent pas en parler parce qu’ils ont honte. Dans ce cas mon conseil c’est de faire appel à des associations. Il y en a des excellentes qui peuvent t’accompagner, de manière anonyme si tu le veux. Ne reste pas dans ton coin, c’est important de pouvoir en parler.
Moi avant je ne me considérais pas trop comme militant parce que pour moi militant c’était les camarades de ACT UP. Eux ils étaient tellement courageux ! Ils osaient affronter la police, les hôpitaux, le pouvoir… Depuis l’âge de 21 ans, je suis engagé dans le mouvement LGBT, je faisais l’accueil dans des évènements pour donner de l’information et distribuer des capotes, donc oui militant mais pas comme ces héros d’ACT UP. Mais je pense que c’est important de toute façon de s’engager. Donnez un soir par semaine pour faire changer les choses, c’est chouette et en plus vous aller rencontrer pleins de gens super. Et soutenez notre communauté dans toute sa diversité.
Il y a des gens qui pensent que le combat est déjà fait parce qu’on a le mariage. Ce sont des gens dans des situations de vie assez confortables et tant mieux pour eux. Mais je pense ce qu’il faut dire à ces gens-là c’est : oui, oui on a ces droits mais rappelle-toi comment c’était à l’école. Ça va un peu mieux maintenant apparemment mais je ne crois pas les gens qui disent qu’ils n’ont j’ai jamais eu de problèmes. Je pense qu’il y a toujours eu des moments délicats, de solitude, des périodes où on a caché qui on était, ou on s’est senti seul… Et s’engager c’est pas forcément rejoindre ACT UP, ça peut être faire un don, donner des conseils, créer des réseaux… Les allié.e.s peuvent aussi aider en faisant attention à ce qu’ils disent, en essayant d’être inclusif et bienveillant. Aussi si vous voyez quelqu’un qui se fait harcelé on peut reprendre les techniques conseillées pour aider les femmes victimes de harcèlement de rue : Se mettre à côté de la personne, faire semblant de la connaître, interpelé la personne qui fait du harcèlement et lui dire d’arrêter, etc. L’important c’est de ne pas laisser la victime seule. Parce que c’est une des raisons qu’on tient pas la main dans la rue ou qu’on ne veut pas être reconnu comme LGBT dans le métro. C’est parce qu’on a peur que personne va intervenir. Et je pense qu’on se trompe.
Pich
J’ai 22 ans et je vis au Cambodge. Je travaille en tant que barmaid et gérante de restaurant, mais je me porte également volontaire en tant qu’activiste LGBT pour aider les personnes qui ont été confrontées à la violence ou à d’autres problèmes en raison de leur identité.
J’ai été intimidée à l’école à cause de l’affirmation de mon identité. Certains font encore de la discrimination, de l’intimidation ou tiennent des propos blessants sur nous, mais c’est mieux maintenant parce que beaucoup de gens tentent de résister à cette haine et de défendre nos droits.
À 20 ans, j’ai commencé à dévoiler mon orientation en parlant de ma copine sur Facebook. Je travaillais à temps plein pendant ce trimestre et mes notes laissaient à désirer. Mon père a eu vent de ma copine par des connaissances familiales. Il a mis mes problèmes à l’université sur le dos de mon attirance pour les filles, puis il a commencé à me frapper. Ensuite, il m’a interdit de sortir. Il a confisqué mon téléphone et ma moto. Après ça, mes parents m’accompagnaient à l’université et au travail et venaient me chercher. Je n’avais pas le droit de voir qui que ce soit. Heureusement, grâce à mon ordinateur, j’ai réussi à contacter des ami.e.s et à leur raconter mon histoire. Illes m’ont vraiment soutenue et je suis vraiment reconnaissante envers eux. Puis, j’ai demandé à ma copine de venir me chercher. Elle connaissait des gens qui ont vécu des situations semblables, mais elle était vraiment sous le choc quand elle m’a vu, parce que, cette fois, c’était à sa copine qu’elle aime qu’une telle situation arrivait. J’avais des blessures partout sur mon corps. Heureusement, je connaissais des gens qui travaillent à la défense des droits des personnes LGBT au Cambodge qui m’ont dit quoi faire. Illes m’ont dit que ma famille pourrait aller au poste de police et causer des ennuis à ma copine et que je devrais donc contacter la police avant eux pour expliquer la situation. Je suis allée les voir, mais les policiers ne se souciaient pas vraiment de moi. J’ai essayé d’obtenir de l’aide de mon oncle, mais il ne m’a pas aidée non plus. Je suis donc allée rester avec ma copine, mais ma santé mentale était vraiment en mauvais état. J’étais triste toute la journée, j’étais en état de choc et, parfois, j’avais l’impression de ne pas pouvoir respirer. J’ai expliqué ma situation à des responsables de mon université. Je leur ai fait voir mes reçus de l’hôpital pour leur montrer que j’étais gravement blessée et une lettre de confirmation de mon gérant, mais on m’a dit que je devrais reprendre toute l’année, ce qui était très cher, donc j’ai dû renoncer à mes études. Heureusement, il y a une organisation au Cambodge qui fournit gratuitement des services d’aide juridique et de santé mentale pour les personnes LGBT qui vivent des problèmes. Au début, j’avais des médicaments qui m’ont beaucoup aidée, mais j’ai dû arrêter de les prendre soudainement parce que c’était trop cher. Je n’avais pas d’emploi, j’ai dû abandonner mes études et je n’avais pas le soutien de ma famille. Heureusement, mes ami.e.s m’ont soutenue. Illes étaient là pour moi et ont essayé de me remonter le moral.
Être activiste, c’est important pour moi. J’ai été confrontée à la violence et à l’intimidation parce que je me suis affirmée et je ne voudrais pas que d’autres personnes ou la prochaine génération aient les mêmes problèmes. Je veux leur montrer qu’il n’est pas normal au Cambodge que des parents soient violents parce que leur enfant est homosexuel.le. Toute forme de violence est condamnable. Il est important pour moi de m’affirmer et d’en parler. Je suis vraiment heureuse de pouvoir m’ouvrir à ce sujet parce que beaucoup de gens entendront ma voix et comprendront de quoi je parle. De plus, il ne s’agit pas seulement de ma voix, mais de nombreuses voix, parce que tellement de personnes ne peuvent pas raconter leur histoire. C’est pourquoi je fais du bénévolat auprès d’organisations communautaires aidant les personnes LGBT.
Si vous voyez des gens qui éprouvent de la violence, aidez-les. N’ignorez pas les gens qui vous entourent lorsqu’illes ont des problèmes, parce qu’illes pourraient en mourir. Je suis reconnaissante envers toutes les personnes qui m’ont aidée, parce que sans elles, je ne serais plus là. Maintenant, je vais mieux et je suis en santé. Parfois, de simples gestes, comme demander aux gens comment illes vont, peuvent grandement aider. Ne les ignorez pas.